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Santé – Savoir écouter son cœur

Santé – Savoir écouter son cœur

Article paru dans le magazine web « CYCLOMAG » du 22/12/2022

Les rédacteurs de la revue Cyclotourisme, ont pu s’entretenir avec le Pr Carré, cardiologue du sport à Rennes, au sujet des particularités du rythme cardiaque du cycliste endurant.

La revue Cyclotourisme s’est déjà intéressée à certaines pathologies cardiaques et leur compatibilité avec la pratique sportive (infarctus du myocarde, activité après un accident cardiaque, mort subite du cycliste, formation aux gestes qui sauvent, etc.).

Lors de cet entretien avec le Pr Carré, nous avons voulu savoir s’il existe des points positifs et des troubles du rythme cardiaque plus fréquents du fait d’une pratique cycliste régulière depuis de nombreuses années.

Entretien avec le Pr Carré

Quelles sont les particularités des anomalies du rythme cardiaque les plus fréquentes chez le cycliste vétéran expérimenté ?

Le phénomène le plus classique chez tout sportif endurant est un ralentissement du rythme cardiaque au repos. Cinquante battements cardiaques par minute sont habituels, parfois même, moins. Si elle est asymptomatique, cette bradycardie régulière de repos est le simple témoignage d’un cœur performant et entraîné.

Quelle signification a la survenue de palpitations à l’effort chez le cycliste vétéran ?

Les palpitations sont très souvent signalées en consultation de cardiologie. Elles sont décrites de façon très imagées par le patient, source d’inquiétude, bien que souvent bénignes. Elles ne doivent pas être néanmoins banalisées, surtout chez un sportif aguerri souvent discret sur l’intensité de son effort.
On doit répondre à trois questions :
  • Quelle est l’importance de la symptomatologie ?
  • Y-a-t-il une maladie cardiovasculaire sous-jacente qui évidemment change le pronostic, et devra d’abord être prise en charge ?
  • La symptomatologie est-elle aggravée par l’effort ?

Quels sont les types d’arythmie d’origine auriculaire ?

Parmi les arythmies provenant de l’oreillette, on distingue :
• La fibrillation auriculaire (FA) idiopathique (sans cause) du sportif endurant vétéran serait due à une dilatation et une inflammation de l’oreillette gauche. La FA survient le plus souvent à l’effort, mais peut devenir permanente.
• Le flutter auriculaire de l’oreillette droite qui bat la chamade (jusqu’ à 200 ou 300 battements/minute) un peu plus fréquent chez l’athlète senior que chez le sédentaire. Il serait dû à la dilatation de l’oreillette droite et peut coexister avec une FA.

Quelle est la fréquence de la fibrillation auriculaire (FA) chez le sportif ?

Le vétéran endurant qui a fait du sport toute sa vie, a trois fois plus de risques de présenter une FA que le sédentaire. Dans la grande majorité des cas, seul l’homme est concerné, la femme ne l’est en principe pas, sauf en cas de pathologie sous-jacente.

La FA idiopathique concerne 1 à 2 % de la population générale, alors que pour le sportif âgé les statistiques doublent avec au moins 3 à 6 % de risques. Si le sportif surajoute en présence d’une hypertension artérielle (HTA) préexistante, la FA est beaucoup plus fréquente. Le reflux gastro-oesophagien (RGO) serait aussi un facteur favorisant, par une sorte de réaction inflammatoire de contiguïté.

Comment faire un diagnostic précis ?

Écoutons le cycliste, que nous décrit-il ? Une sensation de cœur qui tape plus fort, de simples ratés ou au contraire de véritables crises plus ou moins prolongées. Il faut en apprécier la fréquence et son ancienneté.
Quelles sont les circonstances de survenue : le repos, la période de digestion, ou uniquement à l’effort ? Voire dans les suites de celui-ci ? Quelle en est l’intensité et le ressenti ? Le motif de la consultation du cycliste peut être un essoufflement ou une sensation de jambes coupées qu’il estime inhabituels pour son niveau.

Son cardiofréquencemètre peut, parfois l’alerter, quand il note un rythme cardiaque erratique, des variations de dix à vingt battements sans rapport avec la stabilité de l’effort qu’il produit. Quatre examens de principe sont nécessaires afi n de mettre en évidence le trouble du rythme :

  • ECG de repos.
  • L’échocardiographie recherchera surtout une pathologie cardiaque sous-jacente.
  • L’épreuve d’effort peut révéler dans près de la moitié des cas, le trouble du rythme.
  • L’Holter (ECG de longue durée) sera incontournable en cas de négativité des précédents examens.

Ce test en situation réelle permet l’enregistrement électrique en continu du coeur dans la vie courante, en particulier lors de la sortie habituelle du cycliste. L’appareillage simple, peut être porté, une semaine, voire un mois d’affilé, de jour et de nuit, pour débusquer l’arythmie transitoire soupçonnée.

Quelles sont les complications possibles de ce type d’arythmie ?

En l’absence de prise en charge adaptée, les deux complications possibles sont : l’accident vasculaire cérébral (AVC) et l’insuffisance cardiaque (IC).

  • L’AVC : un fragment d’un caillot formé dans l’oreillette (secondaire à la stagnation du sang) peut migrer au niveau des artères cérébrales. C’est pourquoi un traitement anticoagulant est prescrit chaque fois que l’on constate une FA qui le nécessite.
  • L’insuffisance cardiaque : elle survient très tardivement. Une pathologie cardiaque sous-jacente est toujours en cause. La fibrillation auriculaire est-elle une contre-indication à la pratique sportive ?
  • En cas de FA paroxystique Le bilan cardiologique complet ne retrouvant pas de cardiopathie sousjacente, sa réduction, c’est-à-dire le retour à un rythme cardiaque normal dit « sinusal », sera d’abord tenté avec un simple traitement médicamenteux anti-arythmique. En cas d’échec, un choc électrique externe lors d’une courte hospitalisation sera proposé. Le rythme cardiaque étant redevenu normal, la pratique sportive est possible sans aucune restriction. À plus long terme, l’attitude vis-à-vis de l’activité sportive dépend de la récidive ou non de la FA.

En cas de FA permanente ?

Sans cause cardiaque retrouvée, l’instauration fréquente d’un traitement anticoagulant sera préconisée par le cardiologue traitant. La plupart des pratiques sportives sont autorisées. Un traitement anticoagulant nécessite de mettre en garde le sportif sur le risque potentiel d’hémorragie en cas de chute.

La FA permanente diminue habituellement le niveau de la performance sportive d’environ 20 %. C’est nous l’avons vu, cette impression de défaillance sportive, la cause initiale de la consultation, dans un bon nombre de cas. Si par contre, une cardiopathie sousjacente est découverte au cours du bilan initial, c’est cette pathologie qui conditionnera la possibilité de la pratique sportive.

Quel est le traitement de ce type d’arythmie atriale ?

Il peut être proposé un antiarythmique, associé à une anti coagulation. Mais, le traitement privilégié, est actuellement l’ablation (destruction) par radiofréquence de la zone électrique pathogène source de l’arythmie. L’intervention se déroule sous anesthésie locale, l’abord se faisant au niveau d’une veine fémorale.

Cette intervention peut être techniquement longue et compliquée ce qui explique que son indication doit être réfléchie. La durée de la poursuite des anticoagulants après l’ablation sera adaptée à chaque patient. En général, l’intervention, quand elle est simple, dure une quinzaine de minutes, détruisant la zone atriale pathogène. Les anticoagulants sont poursuivis quelques semaines. Une surveillance cardiologique vérifie l’absence de récidive.

Conclusion

Le sportif doit savoir écouter des sensations inhabituelles et ne doit jamais les banaliser même s’il a bénéficié récemment d’un bilan cardiologique. Si on soupçonne la possibilité d’un trouble du rythme le bilan médical doit s’acharner à le débusquer pour permettre une prise en charge adaptée. Avant de parler de FA Idiopathique, l’hypothèse d’une cardiopathie sous-jacente doit être formellement éliminée.

La pratique du sport, parfois adaptée, n’est pas contre-indiquée. Mais les performances peuvent s’en ressentir. Sous anticoagulants, le cycliste doit être responsabilisé du risque hémorragique potentiel lors d’une chute.

Propos recueillis par Patrice Delga, médecin fédéral dans le cadre d’un article pour la revue Cyclotourisme de novembre 2022 – Photo : Richard Bord